Papillon

Le père Censier vient voler demain et le moniteur bichonne l’Edelweiss. 
La troupe vient donner la main, respectueuse du vieux planeur.

Le moniteur ne tarit pas d’éloges, faisant admirer la simplicité et la qualité de la mécanique, de la fixation des ailes au mélangeur de l’empennage, le tout accessible par des panneaux de visite, et justifiant le choix du papillon pour sa finesse. 
Il leur raconte avec émotion la démonstration de voltige du Sylphe (le CM 8 avec un petit réacteur sur le dos) aux championnats du monde à St.Yan en 56, où il était allé à vélo. 

-Mais t’es vachement vieux! Fait Lulu, toujours directe. J’aurais pas cru…(merci Lulu). Et comment ça vole? (elle change adroitement de sujet). 
-J’imagine qu’un bon avion de chasse doit voler comme ça! répond le moniteur. 

On ne s’aperçoit pas qu’on a un empennage différent et on est tellement bien installé qu’on a envie de dormir. Il y a peu de machines volantes papillonnées mais elles sont de magnifiques réussites : Le CM 8 et son descendant le Fouga Magister, les élégants SHK et Salto et le légendaire Beech Bonanza. 

-Pourquoi pas si tant? demande l’ahuri.
-C’est difficile à mettre au point et les longs essais coûtent cher. 

La troupe ne se satisfait pas de ces courts arguments et demande qu’on éclaire sa lanterne. Le renard propose qu’on s’installe autour de quelques boissons, il part au frigo tandis que Lulu va faire un chocolat au vieux pour se faire pardonner. 

-Sur une vue de face on peut considérer le coin comme unité de traînée, surtout s’il est en dépression comme sur avion à aile basse où on est obligé de l’améliorer par des raccords de von Karmann. 
Un empennage cruciforme a 4 coins, un empennage en T deux coins, un papillon un seul coin…et encore est- il d’un angle très ouvert, moins nocif qu’un fermé. 

Le matheux, qui gribouille sur un bout de papier, dit qu’à surfaces projetées égales le papillon est moindre en surface mouillée dans la proportion de 5,6 pour 6 (brave enfant). 

-Je suppose, dit le renard, que si on peut dimensionner la surface projetée horizontale comme un stab classique, il n’est en pas de même pour la dérive puisqu’on projette deux surfaces. 
-Tu as raison, mais une et une ne font pas deux à cause de leur interaction aérodynamique, surtout à leur base…et il faut ajuster un peu en hauteur. 
-L’ahuri, modéliste chevronné, demande si le dièdre du papillon ne s’ajoute pas à celui de voilure, conditionnant roulis induit et stabilité spirale. 

-C’est exact, en proportion de ses dimensions. 

-Quel angle est pratiqué au papillon? Demande Lulu. 
-De 100 à 110°. 

-Cet empennage qui resserre le flux d’air, donc l’accélère, quand on câbre et l’écarte, donc le ralentit quand on pique, n’est-il pas plus efficace à câbrer qu’à piquer? 
-Il faudrait voir les résultats de soufflerie et demander aux voltigeurs si c’est sensible aux forts débattements du pilotage musclé.

Le renard dessine au tableau. 

-C’est vu de derrière, explique-t-il. Si je mets du pied à droite les flèches représentent les forces de lacet ; le nez va partir à droite mais on a une torsion en roulis vers la gauche plus forte qu’avec une monodérive ; il faut un fuselage solide en torsion ! 

-Très juste…et il faut compenser ce léger roulis à gauche par un peu de flèche au BA, comme sur le Magister…ou un peu de dièdre comme sur tous les autres, pour avoir un roulis induit à droite…Ou alors retourner le papillon pour avoir les deux effets de même sens comme sur l’étonnant FS 28. 

- Lulu, qui ne laisse rien passer, dit que le dièdre inverse du papillon du SF 28 va défavoriser la stabilité spirale.
-Oui Lulu! C’est la soufflerie et surtout les essais en vol qui marieront cette cuisine délicate qui nécessite de grands chefs. 

Lulu dit que c’est l’heure de se mettre aux fourneaux et qu’elle a faim. 

L’ahuri clôt la conférence en demandant au moniteur s’il n’a pas conservé de sa jeunesse modéliste, les proportions qui vont bien d’un sien planeur papillonné… dont il croit avoir vu une photo sur une vieille revue. 

L’ahuri devient-il aussi rusé que le renard ?