On en a eu deux, privés, à Moulins : Un qui avait appartenu à Henry, champion du monde, et celui du père Censier, ancien instructeur bougon de l’époque héroïque qui volait encore pour son plaisir. On avait parfois de longues discussions sur la conception de ce planeur dont la qualité de construction était hors normes comme les aménagements qu’il y avait faits pour son confort.
Il habitait Nevers et me téléphonait la veille quand il venait voler.
Je chargeais la batterie, astiquais l’Edelweiss et le menais en piste le lendemain matin. Il décollait en fin de matinée…et revenait le soir après tout le monde. C’était assez écoeurant pour les jeunes qui disposaient de planeurs plus modernes et performants! 
Un jour le père Censier me demande avec son air matois si je veux essayer SON Edelweiss! 
Waouh !
J’évite de sauter de joie visiblement et le fais intérieurement.
Je lui demande, très faux jeton, qu’il me précise les consignes, vitesses, particularités…( Ce planeur est tellement mythique que j’ai déjà lu tout ça dans Aviasport du temps de Siretta bien avant de faire du vol à voile).
Il me regarde comme si je tombais de la Lune et me dit : Si t’es un pilote tu te démerdes! Pourtant, rajoute-t-il, la lame de ressort qui protège l’arrière du fuselage fera rebondir la queue si tu la poses en premier…alors arrive un peu plus vite et touche de la roue d’abord. 
Gueusage pour le centrage idéal car je suis plus léger que l’ancien et c’est parti.

La géométrie du mélangeur mécanique de l’empennage papillon de l’Edelweiss fait que si on a le palonnier en butée on n’a plus toute la course en profondeur et si on est en butée de profondeur on n’a plus toute la course en direction. Ce qui exige que la manœuvre de sortie de vrille soit menée avec une action modérée en piqué pour avoir toute la direction à contre. J’y songe inutilement derrière le remorqueur car je n’aurai jamais de comportement vicieux venant de l’Edelweiss.
Les commandes sont souples, précises et vives en comparaison des planeurs modernes, il y a peu d’inertie sur tous les axes et on a envie de tourner des tonneaux derrière le remorqueur.
Larguage dans une pompe …et ça monte avec une stabilité spirale inhabituelle tandis que  la position couchée invite à la sieste.
Je suis haut sous mon nuage et l’abandonne pour aller sous un autre à bonne allure. Ce planeur siffle à peine en volant vite et droit et donne l’impression qu’on pilote un avion de chasse; la tentation est grande de continuer sur le dos…mais il est vieux et la voltige lui est interdite par son respectueux propriétaire.

Le peu que je le remue dans les ressources en arrivant dans les pompes ou dans 
de timides renversements pour tourner de 180° révèle une aisance de pilotage plus proche des modèles réduits que des réels. On se dit que si cette machine a gagné les championnats du monde alors que ses performances chiffrées n’étaient pas supérieures à celles de ses concurrents c’est qu’elle avait cette aisance dont les autres devaient être privées.

Je redescend aux AFs et, voulant montrer comme je me pose en douceur, j’arrive un peu trop lentement…et touche de la lame de ressort arrière qui me renvoie sur la roue et c'est la honte!
Le père Censier me traite de tête d’oye mais, sans doute voyant ma joie d’avoir piloté cette légende, me dit que je peux le faire voler quand je veux !

Les années ont passé, l’ancien ne vole plus. Sous sa direction, avec les frères Berger, on a chargé l’Edelweiss sur sa remorque et on l’a conduit à retraite à Nevers dans la remise au fond du jardin aux Courlis. Parfois je  passe voir le père Censier et il me raconte des histoires de l’âge d’or du vol à voile.